Le style genroku concentrait la plus grande partie des motifs des kosode sur le devant, les épaules et le bas du vêtement. Comme pour le style kanbun précédent, les principales techniques utilisées étaient la teinture kanoko-shibori et les broderies. Des objets usuels (chapeaux, clôtures, rideaux, instruments de musique, bateaux…) devinrent des motifs à la mode et leur disposition sur le kimono continuaient à suivre les codes du style kanbun. La grande différence se situait dans le jeu du vide et du plein. En effet, pour une classe citadine nouvellement enrichie peu séduite par une esthétique de la sobriété, il fallait montrer coûte que coûte que l'on avait les moyens ! Voilà pourquoi le style genroku se caractérisait par des motifs somptueux et très imposants avec peu d'espaces vides. En cela, il se rapprochait du style des kosode de l'élite de la classe guerrière au cours de la période précédente. Mais cette débauche de luxe nécessita l'intervention shôgunale et la promulgation de lois somptuaires qui réglementèrent l'utilisation des fils d'or, des broderies et des teintures diverses.
En 1696, la mode était au obi large (18-20 cm) noué dans le dos, ce qui coupait la continuité des motifs. Sa sobriété atténuait l'ensemble et apportait une touche d'élégance. Les fabricants s'adaptèrent et prirent donc l’habitude de répartir les motifs et même de ne décorer que la partie inférieure du vêtement, laissant le centre ou le haut, vide. De nouvelles techniques de teintures firent leur apparition (yûzen some) dans un style très différent et connurent une grande vogue auprès des femmes de la bourgeoisie.
Le obi noué à l'arrière s'est élargi et les deux extrémités retombent de chaque côté.
Hishikawa Moronobu, "Migaeri bijin zu"
Pivoines et haies de bambou sur satin.
Jeu de damiers et fleurs de mauve en arabesques concentrées sur les épaules et le bas.
Plantes aquatiques et petits bateaux moyai-bune avec toit de chaume. Les motifs sont répartis sur l'épaule droite et le bas.
Le côté gauche au niveau de la taille montre un espace vide que les motifs contournent. Broderies et shibori sur satin.
Des koto disposés en zigzag sur toute la hauteur cachent un pin tortueux sur la droite avec chrysanthèmes brodés.
Des chrysanthèmes flottent à la surface d'une rivière. Le centre est quasiment vide (shibori et broderies).
Katabira (kimono d'été avec barques, glycines et bambou brodés.
atteint son apogée avec une débauche de luxe tape à l'oeil et devient un des symboles de la nouvelle classe bourgeoise enrichie par le commerce.
C'est aussi tout un art de vivre japonais qui émerge: habitat, jardin, costume, coiffure, cuisine… En ce qui concerne les femmes, le changement le plus surprenant est que ce ne sont pas elles qui dictent les règles de leur propre image mais les peintres et les écrivains. Le déclin de l'autorité aristocratique et le progrès de la culture bourgeoise n'ont pas libéré les rapports entre hommes et femmes mais au contraire, ont assuré une mainmise masculine sur les critères de la féminité.
江戸風俗図巻, Scène de genre et divertissement à Edo, Hishikawa Moronobu.
La réputation d'une courtisane dépendait de sa beauté mais aussi de l'art et de l'habileté dont elle faisait preuve pour divertir ses clients. Plus grande était sa réputation, plus l'hôte devait être digne de mériter ses faveurs. L'argent avait le rôle central mais la culture, les bonnes manières, le bon goût et le style étaient tout aussi importants.
Les Kaigetsudô connurent une phase ascendante et créative qui eut une influence considérable entre 1700 et 1725. Le style de l'école ne changea guère durant toute son existence jusqu'au milieu du siècle. Les plis des vêtements sont dessinés en lignes douces et les motifs somptueux sont rendus par des coloris riches et nuancés. Cette conception de la féminité où chaque élément de l'habillement est ordonné, a introduit tout un code esthétique et symbolique dans la tenue vestimentaire auquel les courtisanes du 18e siècle allaient se conformer. Ainsi signifiaient-elles leur rang et leur richesse par le nombre de kimonos qu'elles portaient superposés et dont, à part le dernier, elles ne révélaient que les bords.
La manière de traiter les belles femmes (bijin) et les scènes de genre de l'école trouva son origine dans les oeuvres d'artistes inconnus de l'époque Kanbun (1661-1673) qui réalisaient des portraits de courtisanes seules ou accompagnées de leurs très jeunes suivantes (kamuro).
Les oeuvres des Kaigetsudô étaient probablement fabriquées en quantité et vendues comme des marchandises pour faire la promotion des kimonos, de la même façon que nos magazines de mode nous informent des nouveautés de chaque saison.
L'originalité de ce procédé venait de ce qu'il permettait d’obtenir des couleurs jamais obtenues avec les techniques précédentes. Ici, on « teignait en peignant »: la teinture était appliquée sur le tissu et le résultat évoquait une peinture. Dans un recueil de 1688 intitulé "Modèles pour yûzen" Hinakata yûzen, il est dit de lui: "Il respecte le style ancien et s'accorde au raffinement et à l'élégance de notre époque". Les motifs de type yûzen (floraux notamment) se répartissaient sur toute la surface du kosode. La technique n'est donc pas nouvelle. En effet, la teinture sur réserve remonte à l'époque de Heian et permet d'obtenir un dessin précis.
Le dessin préparatoire est tracé avec un colorant végétal qui délimite chaque couleur et qui peut s'effacer puis on recouvre le dessin de colle d'amidon ou de gomme. Au rinçage, ne restent que les tracés séparant chaque couleur. On applique les couleurs au pinceau dans les contours puis on les fixe à la vapeur. Les possibilités offertes par ces nouveaux procédés permirent l'utilisation d'une gamme élargie de couleurs et de dégradés. Puis, l'ensemble du décor est recouvert de colle et on procède à la teinture du fond. Le tout est ensuite rincé à grande eau pour éliminer colle et colorant. Le tissu est lissé à la vapeur et il est alors possible de rajouter quelques broderies qui passent en second plan. Le choix des thèmes s’élargit et les combinaisons devinrent plus complexes.
Cette mode séduisit rapidement les femmes de la bourgeoisie citadine et influença l’ornementation des kosode en réduisant considérablement les prix de fabrication à une époque où les teinturiers rivalisaient pour mettre au point des techniques susceptibles d’élargir les perspectives picturales de leur profession. Grâce au yûzen, la broderie, seul procédé qui permettait d'exprimer librement les motifs, passe au second plan et le choix des motifs s'élargit, les combinaisons et les compositions devinrent plus complexes.
Toutefois, sans jamais disparaître, le yûzen-some passa vite de mode à la faveur de nouveaux motifs dont la demande ne fit que s'accroître. L'attention fut alors portée sur le style des motifs kôrin (kôrin-moyô) dûs au peintre Ôgata Kôrin (1658-1716), actif à Kyôto. Son style simple et généreux à la fois, une fois reproduit sur les kimonos plut d'emblée et cet enthousiasme ne se limita pas seulement au kimono qu'il avait orné lui-même mais se poursuivit bien au-delà de sa mort, et même après l'ère suivante de Kyôho (1716-36) sans faiblir.
En 1724, le bakufu publia des lois somptuaires limitant les dépenses privées en matière ce cérémonies, de tissus et vêtements, d'ameublement etc… Ce genre d'ordre fut réitéré presque annuellement pendant les deux décennies suivantes.
Extrait: "Depuis quelques années, la tenue des femmes est de plus en plus ostentatoire. Désormais, même les épouses de daimyô ne devront plus utiliser pour leurs vêtements qu'une petite quantité de broderies de fil d'or et ne plus porter de robes faites de tissus coûteux. Les servantes porteront la tenue simple qui convient à leur position et dans chaque ville le prix fixé pour ces articles sera publiquement annoncé…..Les chemises de nuit, couvre-lit, matelas etc… ne doivent pas être de fins tissus brodés".
Ces détails donnent idée des tendances de la mode et de l'échec du bakufu a faire appliquer ses lois somptuaires.
Suite aux lois somptuaires du début des années 1720, les motifs se réduisent autour de l'ourlet (susomoyô) et les teintures de petits motifs répétitifs (komon) notamment dans des nuances bleues et marron connaissent un grand succès.
Jusqu'à la fin de cette période vers 1740, la disposition des motifs des kosode des classes marchande et guerrière ne diffèrait guère, en revanche les tissus (satin ou soie chirimen) et les procédés utilisés (yûzen ou broderies et teinture surihitta (motifs kanoko teints) faisaient la différence.
Ce fut seulement au cours de la deuxième moitié du 18e siècle et jusqu'au 19e siècle que les kosode des femmes de l'élite guerrière se distinguèrent et que la rupture entre les deux styles prit véritablement effet.
À gauche, une jeune fille très à la mode avec un kosode qui arbore des motifs différents en haut (instruments de musique variés) et en bas (ombrelles, étendards). Le obi rayé est long et large). Le style de la coiffure perdurera jusqu'à la fin Edo.
Le motif kihachijô est lié à une triste affaire qui a probablement fait son succès. La jolie serveuse Shirakoya Okuma, 23 ans, après avoir assassiné son mari, fut exhibée à travers la ville puis exécutée le 25 février 1727.
Lors de ce trajet où une foule de curieux s'attendaient à voir un monstre, elle apparut sur un cheval, revêtue de sous-vêtements blancs et d'un kosode jaune à rayures kihachijô (un tissage très onéreux à l'époque), un chapelet en cristal autour du cou en récitant des sutra bouddhiques dans une attitude très digne qui fit forte impression. Son histoire inspira de nombreuses pièces de théâtre.
Dominique Buisson, Esthétiques du quotidien au Japon
Au cours de la longue période d'Edo, les modes se sont succédé mais une tendance en particulier, lancée par des courtisanes, entraina un engouement sans précédent et marqua la fin du 18e siècle jusque dans les classes populaires, celle du sasa-iro beni. Il s'agissait d'appliquer plusieurs couches épaisses de rouge à lèvres d'excellente qualité (à base de fleurs de carthame et très cher) sur la lèvre inférieure (à d.), qui finissaient par donner une couleur vert irisé puis violet doré, "feuilles de bambou" (sasa-iro beni). Le rouge étant considéré comme un produit de luxe, inabordable pour les femmes ordinaires, elles firent preuve d'ingéniosité en noircissant leurs lèvres dans un premier temps puis en appliquant une fine couche de rouge pour obtenir un résultat comparable.
Ce marchand aisé porte un kosode et un haori en papier washi (kamiko) traité pour la confection de vêtement et doublé de soie. Le kamiko était bien connu des gens du peuple mais peu à peu cette matière, par sa beauté et sa capacité à bien garder la chaleur, séduisit les classes plus aisées. La touche iki (chic, dandy) laissait voir sur le papier des textes, des illustrations ou des mots laissés par des courtisanes.
Vers la fin de Genroku (1703), le haori qui se portait plutôt long jusque là n'est plus très en vogue et ce sont désormais les haori plus courts à manches longues qui plaisent. Les lois somptuaires avaient beau interdire les vêtements luxueux, elles furent vite détournées: en effet, le luxe devenait désormais invisible aux yeux de tous et se portait sur les sous-vêtements et les doublures de haori par exemple.
Cordelières
Ôgi-ori: ces employées plient les papiers destinés à décorer les éventails
Maître tisserand
Vers 1684, la soie, le pongé de soie (en plus du lin et du coton) sont autorisés aux propriétaires terriens.
Forgeron
Fabricant de cordons de papier motoyui qui sont utilisés pour faire tenir les coiffures, notamment les chignons.
Un artisan polit un miroir en bronze pour des courtisanes
Menuisier sur tour qui travaille en famille
Il était interdit aux populations rurales de porter de la soie alors qu'elles la fabriquaient. Les femmes qui réalisaient les travaux liés au tissage confectionnaient avec une grande habileté et un sens de l'économie indiscutable des vêtements à la fois pratiques et esthétiques avec les matériaux dont elles disposaient. Les fêtes saisonnières, religieuses et autres réunions de famille étaient l'occasion pour tous de porter leur plus beaux habits. La matière colorante la plus fréquemment utilisée et la plus répandue était l'indigo. Ce bleu qui en vieillissant s'éclaircit et devient de plus en plus beau, est particulièrement associé aux vêtements ruraux. On pouvait obtenir une infinité de nuances selon le temps de trempage des étoffes dans les bains de teinture. D'autres couleurs issues de matières végétales ou minérales répandues dans la nature (brun, jaune, rouge, gris) se mariaient magnifiquement avec les tons bleus.
Les étoffes fabriquées dans le pays servaient aussi à confectionner du linge de lit pour les futon (matelas et "couettes").
La technique de broderie sashiko date de l'époque d'Edo et permettait de renforcer et de repriser les vêtements de travail ou d'épaissir le tissu pour se protéger du froid. Les motifs allaient des plus simples aux plus complexes qui formaient des décors très sophistiqués.
Sur le croquis de droite, le dernier personnage du croquis (okappiki) n'est pas un samurai mais une sorte d'homme de main, d'espion souvent ancien malfrat, recruté dans le bas peuple qui assiste le dôshin. Seul, le port du jitte lui est autorisé.
Les yoriki, les lutteurs de sumo et les hikeshi (chargés d'éteindre les incendies) forment le trio de tête des 3 catégories d'hommes les plus iki et les plus populaires d'Edo.
Dans les années 1655, ce quartier prospéra en tant que port commercial spécialisé dans le bois de construction. Afin de favoriser les rencontres et les affaires des marchands entre eux mais aussi de les divertir, de nombreuses geisha (hommes et femmes) des autres quartiers affluèrent spontanément. Quotidiennement au contact d'une clientèle franche, spontanée et cultivée, au look élégant sans vulgarité, elles finirent par en adopter les manières et l'apparence devenant ainsi l'incarnation d'un style et d'une esthétique iki .
À peine maquillées, pieds nus dans leurs socques même en hiver (une habitude toujours conservée d'ailleurs), arborant une tenue discrète et sobre avec un haori qui leur donnait un air masculin, sans oublier leur franc parler sympathique, elles divertissaient leurs clients avec des danses, de la musique, des chants, des jeux…) sans jamais vendre leurs charmes, ce qui faisait leur fierté. Leurs noms d'artiste étaient à consonance masculine (Ukifune, Aoi, Otoyoshi, Tobiyoshi, ~yakko…), un subterfuge qui pour certaines étaient un moyen de se protéger en détournant l'attention des incursions du bakufu dans l'enceinte du quartier. Encore aujourd'hui à Tôkyô, de nombreuses geisha portent des noms masculins.
Il faudra attendre la fin du régime des Tokugawa pour que le port du haori soit autorisé à tous.