Cette période marqua un affaiblissement des organisations de marchands et des relations de type féodal mais aussi une plus grande mixité sociale entre marchands et guerriers qui se situaient aux extrémités de la hiérarchie sociale (shi-no-kô-shô) imposée par les Tokugawa. Il s'ensuivit une influence réciproque de l'éthique samurai sur l'élite de la classe des marchands qui transmettront leur réalisme et leur hédonisme à l'aristocratie. Ce rapprochement social associé à une esthétique originale (peinture, estampes, littérature, théâtre, naissance des concepts iki et tsû) forma la marque de la culture d'Edo.
Sous les Tokugawa, des quartiers réservés aux maisons closes (yûkaku) furent aménagés systématiquement dans les villes pour assurer le contrôle de la société. Les maisons closes licenciées furent regroupées et entourées d'enceintes et de fossés afin d'empêcher les mauvais payeurs et les prostituées de s'enfuir. La plupart d'entre elles avaient été vendues dans leur enfance (vers 5-6 ans) et elles devenaient kamuro pendant leur apprentissage. Vers 14-15 ans, si elles montraient des dispositions pour devenir une bonne courtisane, elle était formée et initiée par sa maîtresse.
Ces quartiers yûkaku étaient les seuls endroits de la société où les distinctions des statuts sociaux n'avaient pas cours ce qui en faisait aussi des lieux de création littéraire et artistique où se faisaient et se défaisaient les modes.
La prostitution masculine fut particulièrement florissante vers 1764-80 et les très jeunes garçons (yarô) exerçaient dans des "maisons" appelées kodomoya (maisons d'enfants) qui attiraient principalement les membres de la classe militaire et du clergé bouddhique. Ils copiaient les manières des femmes, se noircissaient les dents et se paraient de luxueux kimonos et obi en adoptant des attitudes efféminées.
Oiran dôchû: tayû avec ses assistantes kamuro, son apprentie (shinzô) et le personnel des okiya (maisons closes) et des chaya (maisons de thé). Les oiran, aux compétences inégalées et classées selon leur beauté et leur savoir-faire étaient traitées comme des princesses, pouvant choisir leurs clients dans les rangs les plus élevés de la cour, de la noblesse et des samourai.
Kôryûsai, 1776
Une simple rencontre coûtait environ 2500-3000 euros (en 1734) et à la suite de trois rencontres (obligatoires) où la courtisane ne parlait quasiment pas, elle faisait savoir si le client lui convenait.
La culture tayû très onéreuse, extrêment ritualisée et qui mettait à mal la patience des clients déclina peu à peu au début du 18e siècle. Des oiran de rang légèrement inférieur les remplacèrent.
Cependant, à l'instar des fleurs de cerisiers qui fanent et tombent rapidement, la vie professionnelle de ces jeunes femmes s'achevait très tôt et dès qu'elles dépassaient la vingtaine (28 ans selon les auteurs), quand elles avaient de la chance, elles pouvaient emprunter auprès de prêteurs pour se racheter à leur tenancier et retourner dans leur famille mais celles qui restaient dans le quartier finissaient dans la misère tentant de gagner leur vie par une prostitution ordinaire au fond de sombres ruelles.
Une geisha en kimono sombre portant son shamisen et une courtisane se rendent à une soirée.
Le motif à petits carreaux réguliers "ichimatsu moyô" fut lancé par l'acteur onnagata (rôle féminin) Sanogawa Ichimatsu en 1741 et connut un immense succès.
Ce ne sont désormais plus les courtisanes de haut rang qui font les modes mais les jeunes serveuses qui rivalisent de beauté entre elles ce qui a pour effet de voir émerger de nouveaux styles de coiffures (plus relevées et maintenues par des kanzashi) et de kimonos (avec des motifs plus discrets disposés au niveau de l'ourlet). Les représentations teintes ou brodées en «tableaux» des kosode sont abandonnées au profit de motifs géométriques (rayures, carreaux) dans des matières simples mais élégantes qui remplacent les luxueux tissages et teintures. On laisse apparaître des sous-kimonos plus clairs par l’ouverture des manches et sur le devant, traduisant ainsi une certaine image érotique de la femme. Le obi se rallonge et se porte alors très large (jusqu'à 38 cm) et très haut, donnant lieu à une créativité nouvelle dans la manière de le nouer. Les sandales de paille tressée (zôri) sont remplacées par de hautes geta (ashida) ou des setta plates et remportent un franc succès auprès de tous. Certaines de ces serveuses connurent la célébrité (Osen, Ofuji, Onami, Onatsu) et furent aussi les modèles préférés du peintre Suzuki Harunobu qui révolutionna l'image de la féminité en accentuant encore les tendances à la grâce et à la délicatesse instaurées par Nishikawa Sukenobu.
Cette mentalité urbaine donna naissance à la figure de l'enfant d'Edo (edokko), l'habitant de souche, originaire de la ville basse (shitamachi), caractérisé par son irrévérence, son goût des plaisirs et de l'instant présent, élégant et raffiné et méprisant la grossièreté des samurai.
Ici, (en partant de la gauche), un commis chez un marchand de kimonos, un commerçant aisé dans une tenue tendance aux couleurs en vogue, un fils de bourgeois dans un kimono rayé en pongé de soie, une servante de maison de thé avec son plateau à la main et son tablier (maedara) qui est devenu le symbole de cette profession.
Les couleurs de la fin de cette période se présentaient dans des gamme de nuances sobres et sombres: noir, gris, indigo, kaki, marron dans tous leurs dégradés, brun noir, bleu-vert (asanegi-iro), bleu-vert foncé (nando-iro), bleu, les associations marron-bleu etc… Parmi les principaux tissus utilisés, citons la soie, le pongé de soie (tsumugi) et les tissages de coton de luxe le plus souvent décorés de motifs rayés ou de petits motifs répétitifs de type komon.
À partir de la gauche: une jeune fille de bonne famille en furisode (kimono à manches longues), une citadine en kimono rayé à la mode et obi large (une deuxième ceinture de dessous, shigoki obi était indispensable pour maintenir le kimono à bonne hauteur). Le obi noué à l'arrière était populaire mais les femmes mariées et les filles de joie pouvaient encore le nouer à l'avant comme autrefois. En kimono rayé bleu ciel, une employée de boutique affairée regarde un homme aisé et oisif, habitué des quartiers de plaisirs, avec leurs codes et leur esthétique, dans une tenue très élégante (haori noir sur un kimono d'apparence ordinaire mais doublé de soie rouge avec un motif en feuilles de lin et en-dessous, on entrevoit un juban aux motifs teints). À sa droite, un hôkan, un amuseur qui distrait les clients lors de banquets tient un petit tambour emballé. La forme des manches des vêtements masculins se modifia vers 1762 et l'arrondi du bas fut remplacé par une coupe rectangulaire qui est toujours d'actualité.
De plus, dans un texte destiné aux bushi de la fin de l'époque de Muromachi (宗吾大奴紙 Sôgo ôzôshi), il était mentionné que les tissus à rayures étaient réservées aux gens des plus basses conditions et que les personnes de rang élevé ne devaient en aucun cas en faire usage même en sous-vêtement.
La perception de ce motif évolua au cours de la deuxième moitié du 18e siècle (1764-72) avec la création de très nombreux modèles (daimyôshima, takishima,, mansuji…) si bien que les rayures verticales devinrent à la mode pour tout le monde, ceci probablement pour répondre à des critères esthétiques en vogue qui renvoyaient à une image de la femme élancée et longiligne, telles qu'elles sont représentées sur les estampes de l'époque (Kiyonaga).
◆ Pour en savoir plus sur les rayures en Europe, voir L'étoffe du diable, Michel Pastoureau
Les obi se transformèrent également et devinrent plus longs et plus larges (jusqu'à 38 cm). Ils s'imposèrent aussi en tant qu'accessoires à part entière, indispensables et décoratifs, pouvant se nouer dans le dos ou à l'avant (après 1764). Une deuxième ceinture étroite placée juste sous le obi maintenait le kosode replié à bonne hauteur pour permettre une marche aisée (koshi-obi).
Torii Kiyonaga, 1784, Crépuscule d'été au bord de la rivière Sumida
Kiyonaga révolutionna le concept de beauté féminine en allongeant et en affinant les silhouettes qui s'imposèrent alors comme des références, sans parler de la splendeur des kosode qui les magnifiaient.
De plus, l'intérêt croissant de cette époque pour le obi joua un rôle significatif dans le décor du kosode. L'utilisation de obi très larges allait favoriser la tendance à diviser le kosode en zones distinctes, supérieure et inférieure, qui eut pour effet de cantonner les motifs sur les bordures (exception faite pour le uchikake et le furisode).
Au cours de la seconde moitié du 18e siècle, vers 1765, la mode était aux motifs répartis sur la totalité de la surface du kosode (so-moyou) ou aux motifs discrets sur la moitié inférieure pour former une bande plus ou moins large au niveau de l'ourlet du kimono et/ou à l'intérieur sur la doublure (suso-moyô, tsuma-moyô, ura-moyô). Vers 1768-69, les doublures rouge vif (beni) sont peu à peu remplacées par des doublures violet foncé ou noires. Cette préférence des femmes de la classe marchande fit évoluer et changer les styles: le chic se porta désormais avec sobriété jusqu'au milieu du 19e siècle.
À cette époque, lorsque les femmes de la riche bourgeoisie et de la classe des samurai restaient chez elles, elles portaient leur kosode très long (hikisusô) fermé au niveau de la taille par un obi mais laissant la partie inférieure légèrement entrouverte sur le devant et former une sorte de traîne dans le dos où l'on pouvait admirer les motifs en continuité. Le bas des deux pans avant était alors visible même de dos. Lorsqu'elles sortaient, elles n'avaient pas d'autres solutions que de maintenir leur kosode relevé pour pouvoir marcher. Cette habitude commença dans les années 1735, une période où les vêtements (uchikake, kosode) ont vu leur longueur considérablement augmenter (environ 15 et 20 cm). Seules les femmes de basse condition et les servantes portaient leur kosode ajustés à leur hauteur.
SUSO-MOYÔ
Les motifs sont disposés en fresque parallèlement à l'ourlet sur une hauteur qui varie selon la largeur du obi (c'est le tomesode actuel).
URA-MOYÔ
À la fin du 18e siècle (1789-1801), un nouveau style (ura-moyô) vit les motifs du bas des suso-moyô kosode se prolonger sur l'envers au niveau de l'ourlet de manière à être visibles lors de la marche.Les motifs présents à l'extérieur se prolongent jusqu'à l'intérieur du kimono sur la bordure inférieure et sur les côtés sur une largeur qui varie. Les motifs deviennent donc visibles à chaque mouvement et lors de la marche.
TSUMA-MOYÔ
Les motifs partent du milieu de l'ourlet du dos et migrent de chaque côté en remontant vers l'avant avec un accent sur le design des deux pans de l'avant. La disposition des motifs peut présenter quelques variantes selon les modes avec des motifs minimalistes sur le devant ou dans le dos. Si les motifs se prolongent jusqu'au col plus ou moins haut, il s'agit d'un shimabara tsuma-moyô.
Fleurs de paulownia (emblème impérial) et rideaux de bambou misu.
Herbes et fleurs d'automne sur fond gris. Kosode d'été où les motifs remontent jusqu'aux hanches (koshidaka). Broderies et teinture shiroage.
Derrière elles, une silhouette coiffée d'un chapeau de paille (sugegasa), habituellement porté dans tout le pays.
(Utamaro)
Les deux femmes suivantes sont des courtisanes. Au milieu de la période d'Edo, le col noir qui bordait le kimono du dessus était très en vogue auprès des femmes des quartiers populaires (shitamachi). Cette mode va se généraliser jusqu'à devenir le petit détail "chic" de la tenue aussi bien chez les femmes ordinaires que chez les geisha et autres serveuses de maisons de thé.
Les koshi-obi sont bien visibles et maintiennent les kosode relevés pour marcher plus facilement.
Les kosode sont unis et ornés sur la partie inférieure seulement. Celui de la soeur aînée semble être décoré à l'intérieur et les motifs montent haut sur la bordure du col. Son obi montre des motifs en arabesques, caractéristiques des tissus importés d'Inde (sarasa).
(Kiyonaga)
Le kamishimo de couleur bleu turquoise (asainegi) est porté ici par l'acteur Ichikawa Danjurô VIII (1823-54), qui se suicida à l'âge de 31 ans.