Edo (l'actuelle Tôkyô) n'était encore qu'un hameau perdu qui vivait surtout de la pêche dans la plaine de Musashi. Lorsque Tokugawa Ieyasu, fondateur d’une dynastie de shôgun, ou chefs militaires, y installa son gouvernement en 1590, la ville se développa considérablement attirant peu à peu commerçants et financiers de toutes les provinces. Cette première moitié du 17e siècle fut une période de transition fortement marquée par l'influence de la culture de Momoyama.
Le Japon ferma alors ses frontières aussi bien aux étrangers qu’à ses propres ressortissants. Les premiers ne pouvaient pas se rendre dans les îles nippones, et les seconds ne pouvaient pas en sortir. Cet isolement (sakoku) débute en 1639, lorsque les missionnaires chrétiens sont expulsés du pays sur ordre de Tokugawa Ieyasu.
Au cours de cette période d'isolation, avec la culture paysanne et artisanale, la ville fut l'autre grand creuset d'une authentique culture originale, urbaine et populaire, avec un esprit pragmatique et frondeur, un art de vivre et une esthétique encore perceptible de nos jours, considérablement affranchie des codes alambiqués de l'aristocratie et débarrassée d'un certain pessimisme véhiculé par le bouddhisme.
C’est dans ce pays mystérieux, quasiment secret, à l’écart du monde occidental et de ses tentacules politiques et commerciaux où des commerçants hollandais eurent l’autorisation de s’installer dans une petite enclave près de Nagasaki, l’île de Dejima.
Visages d'Edo au début du 17e siècle.
De plus, la fortune des daimyô dépendait de la production de leurs terres et le code social leur interdisait de s'adonner à des activités marchandes ou financières. Or, au cours de cette période, s'ajoutèrent des mesures économiques agraires qui les défavorisèrent` et menacèrent leur situation financière. Soucieux malgré tout de conserver les apparences face aux autres seigneurs, leur demande en services et objets de luxe finit par créer un marché énorme qu'un nombre grandissant d'artistes, d'artisans et de commerçants, qui constituaient la majeure partie de la population citadine, tentaient de satisfaire ainsi qu'une une foule de petites gens en quête d'un avenir meilleur.
Edo s'agrandit alors à une vitesse spectaculaire.
Sankin kôtai, les vassaux sont obligés de se rendre à Edo pour y déclarer leur fidélité (1635). Ces imposants déplacements en cortèges seigneuriaux en imposait à la population et permirent aussi le développement des "Cinq grandes routes" du pays.
• au-dessus du 3e rang, le hitatare
• kariginu pour le 4e rang
• daimon pour le 5e rang
• suô pour le 6e rang et en-dessous
• le hôi était autorisé pour les nombreux guerriers non pourvus de rang.
Exception faite pour les très grands fiefs, la plupart des daimyô se situaient au 5e rang.
Ce daimon différait de la tenue portée au Moyen Age dans la qualité du tissu et dans la forme du hakama qui se portait très long. Ce daimyô du 5e rang porte un daimon-nagabakama (long hakama) qui était devenu un habit formel porté au palais.
Le kosode d'hiver porté en-dessous était un noshime kosode, que l'on associait aussi avec d'autres tenues officielles. Il comportait des motifs arrangés sur le bas des manches et au niveau de la taille. Les guerriers ordinaires dépourvus de rang étaient autorisés à porter un daimon à condition qu'il fut en lin.
Série télévisée populaire "超高速!参勤交代". L'action se situe vers 1735.
Comme le dictait la loi, les hommes devaient s'astreindre aux travaux des champs, les femmes à leur métier à tisser. Pour se protéger du froid, les plus pauvres portaient des coiffes en papier (kami-zukin).
Les conséquences sociales des conflits militaires constants des années Sengoku (milieu 15e~fin 16e) ajoutées au luxe et à la grandeur caractéristiques de l'époque de Momoyama ont montré un mélange des genres peu commun où les excès se côtoyaient. Les représentations picturales de cette époque, principalement sur paravents, nous montrent des kosode richement brodés et teints, portés larges mais avec des manches assez courtes laissant voir l'avant-bras.
Le style Keichô se distinguait surtout des styles précédents par ses décors et par la structure des motifs qui mêlaient dans un joyeux désordre courbes, lignes droites, formes géométriques variées, motifs animaliers et floraux, objets du quotidien brodés...Les thèmes empruntés à la nature dominaient mais les proportions parfois inversées, contribuaient ainsi au sentiment d'abstraction, qui avec l'irrégularité des zones teintes, créait une ambigüité dans le rapport entre les motifs et l'arrière-plan.
La feuille métallique formait des motifs individuels variés au lieu de simplement remplir les vides entre les motifs brodés. La teinture shibori était, elle aussi, utilisée plus fréquemment qu'avant pour créer de larges zones de couleur différente qui sont la composante principale de ce style.
La complexité et le coût inhérents à ce style le limitait à la classe des guerriers de haut rang ou à la classe marchande très cultivée (chônin), capable d'interpréter les évocations et allusions littéraires chinoise et japonaise médiévales parfois présentes sur ces kosode. Ce style persista jusque dans les années de l'ère Kanbun (1661-73), avec quelques modifications. La technique nuihaku retrouvera un nouveau souffle lorsqu'elle sera adoptée pour la réalisation des luxueux costumes de théâtre nô.
Par la suite, les courtisanes de luxe (tayû) les arborèrent dans les quartiers de plaisirs de Kyôto vers le milieu du 17e siècle.
洛中洛外図, La ville (Kyôto) et ses environs, Iwasa Matabei, vers 1615.
Des scènes de ce genre sont caractéristiques de la période Kan-ei (1624-1644). Une courtisane âgée porte un jinashi kosode et les kosode ornés de larges motifs et fermés par des obi encore étroits sont à la mode. Les grandes villes avaient leurs lieux de transgression où les codes sociaux n'avaient plus cours: les théâtres avec le kabuki, les lieux de fêtes avec leurs attractions et leurs forains et les quartiers de plaisirs où se développa la culture urbaine qui connut son apogée au début du 19e siècle.
Peu à peu, la classe guerrière avec ses valeurs et ses nombreux samurai en rupture de ban, appauvris ou contraints à des tâches bureaucratiques eut tendance à se fossiliser et ce sont les autres classes sociales qui furent à l'origine d'une nouvelle culture urbaine.
En règle générale, le chônin (citadin) c'est à dire celui qui habite un quartier de la ville et non pas à l'ombre du château, était un artisan, un enseignant ou un commerçant respectable. On a beaucoup décrit les lieux de divertissement, les théâtres, les quartiers de plaisir de la société bourgeoise des 17e et 18e siècles et on a tendance à les considérer comme le cadre de la vie quotidienne d'Edo. Toutefois, sous l'influence de la classe guerrière qui méprisait le commerce et qui était guidée par l'éthique confucéenne basée sur l'importance de la loi morale du devoir et de la piété filiale, les citadins les plus sérieux les imitèrent et se joignirent à ce courant.
Dans le développement de l'industrie et de la culture nationale, un art populaire du quotidien mêlant esthétique et fonctionnalité vit le jour avec des artistes et des artisans parfaitement intégrés dans la société. Des progrès notoires ont été faits depuis le Moyen Age dans la fabrication des métiers à tisser et la production de belles étoffes en soie au dessin souvent inégalable (nishijin-ori) et en coton dans toute une variété de coloris et de modèles.
風俗図屏風, Paravent de Hikone (1624-1644). Plusieurs personnages (musiciens, joueurs, courtisanes et kabukimono) sont rassemblés et se divertissent dans le quartier des plaisirs de Kyôto. Le régime répressif des Tokugawa accorda à la société une liberté étonnante dans l'expression culturelle, laissant le peuple se divertir tant que cela ne troublait pas l'ordre social. Il se contenta de cantonner ces quartiers à des territoires limités.
Les kabukimono, ces rônin (samurai sans maître), "traîneurs de sabre, braillards, querelleurs et proches de la voyouterie" (Philippe Pons) se caractérisaient par un comportement extravagant, voire violent, et une tenue vestimentaire excentrique qui attirait le regard et leur permettait de s'affirmer dans une société où ils n'avaient pas de statut bien défini. Les motifs qui ornaient leurs kosode étaient réalisés par des teintures de type shibori.
C'est précisément au cours de cette époque que les premiers tissus imprimés d'origine thaï (Siam), ou indiennnes ("indiennes", sarasa) furent importés au Japon et que le port de vêtements en soie fut interdit à la classe paysanne et seuls le lin et le coton furent autorisés.
Le titre était tiré d'un poème anonyme du Kôkin wakashû, compilé au début du 10e siècle.
"Plus encore que leur couleur
ce fut leur parfum qui m'émut
De qui sont ces manches
qui ont effleuré
Le prunus de ma demeure ?"
Sous l'Antiquité, l'usage voulait que les femmes de haute condition parfument les manches de leurs vêtements. Les courtisanes des plus rangs de l'époque d'Edo prenaient comme modèle de comportement et d'éducation les femmes de l'aristocratie civile, elles-mêmes héritières des pratiques antiques. Ainsi parfumaient-elles les manches de leur kosode. Ces représentations allusives dégagent un esprit et un érotisme propres aux quartiers de plaisir du 17e siècle.
江戸名所図屏風, "Lieux célèbres d'Edo", paravent, vers 1643-1656
Au centre d'Edo, à Nihonbashi, l'activité de la ville est alors à son comble mais après le grand incendie de 1657, tout sera à reconstruire.
La réussite sociale des commerçants et des marchands qui devinrent bientôt les nouveaux riches de la capitale ainsi que le pouvoir des courtisanes, c'est à dire la rencontre du monde de l'argent et du monde des plaisirs, ont fortement influencé la mode vestimentaire des populations urbaines. Preuve en est sur les estampes qui nous renseignent sur les différentes tendances de la mode. Chaque occasion était bonne pour se mettre en grande tenue et le prestige social était étroitement lié au bon goût vestimentaire qui permettait aussi de se démarquer par son originalité.
À la fin du 17e siècle, beaucoup de chônin disposaient de moyens financiers plus importants que ceux de citadins de noble naissance, tout en restant au bas de la hiérarchie sociale et en étant limités par de nombreuses lois somptuaires qui s'appliquaient à tous les domaines (notamment immobilières et vestimentaires. Il ne leur restait plus qu'un seul moyen pour dépenser leur richesse: le divertissement. C'est ainsi que naquit le "monde flottant", le plus connu étant le quartier de Yoshiwara (1657) qui s'employa à satisfaire les désirs des hommes d'Edo pendant 300 ans (1958) !
江戸名所図屏風, "Lieux célèbres d'Edo", paravent, vers 1643-1656 (détails)
Des corps de pompiers (hikeshi), qui étaient souvent en même temps charpentiers de grande hauteur (tobi), s'organisèrent en systèmes qui ressemblaient à ceux de la police (yoriki et dôshin), ils devinrent très puissants et contrôlèrent les quartiers. Ils étaient alors considérés comme les héros des villes et connus pour leur fanfaronnade, leur vantardise et leur esprit de bravoure au sang chaud typique des gens d'Edo (edokko).
Ce hikeshi à gauche porte l'étendard de sa brigade et exhibe ses tatouages, une veste épaisse portée à l'envers autour de la taille. Ces hanten en coton très épais étaient ornés de magnifiques motifs peints à l'intérieur. Avant l'incendie, ils le mouillaient abondamment et une fois l'incendie maîtrisé, ils le retournaient comme sur cette illustration, signifiant leur victoire sur le feu.
Kamawanu a été remis au goût du jour par l'acteur de kabuki Ishikawa Danjurô au début du 19e siècle et fait toujours partie des motifs les plus connus. On le trouve souvent sur les yukata, les obi ou les tenugui.
En 1668, une loi interdit le port des haori tissés en laine et des capes (kappa), d'inspiration étrangère. Pour se protéger de la pluie ou de la neige, le personnage à l'avant porte une cape imperméable tissée en paille (mino).
En 1670, le haori se porte très long (naga-haori) et la barbe est interdite.
Vers 1680, les haori ornés de kamon se voient de plus en plus.
Les portraits de bijin (belles femmes), d'acteurs ou danseurs souvent anonymes, aux coloris recherchés, rendaient le charme ambigu et séduisant des principaux protagonistes des divertissements d'Edo. Cette femme arbore la coiffure appelée gosho mage (chignon du Palais) ou hyôgo. Les motifs du kosode du dessus sont teints.
Les thèmes variés (flore, faune, objets du quotidien, lettres…) sont exécutés à l'aide de techniques complexes et onéreuses: teinture shibori, broderies nuihaku avec moins de feuilles métalliques (or et argent) ou de peinture à l'encre. Les fils métalliques ronds et les pois teints en shibori (motif kanoko) y sont plus présents que sur les keichô-kosode.
Ces larges espaces sans décor n'étaient pas seulement dictés par un but esthétique. En effet, ce style s'est imposé suite aux deux grands incendies d'Edo (1657 et 1661) où beaucoup de citadins perdirent tous leurs biens. Un besoin pressant de vêtements nouveaux s'imposa. Choisir de concentrer les décors sur des espaces réduits nécessitant des techniques difficiles permit une production massive. Le kanbun kosode devint ainsi le reflet de la nouvelle classe bourgeoise et de ses goûts.
Ici aussi, les nombreuses allusions littéraires médiévales, chinoises et japonaises, les kanji faisant référence à un poème ou à une légende furent repris avec succès et une solide connaissance des classiques était nécessaire pour pouvoir les interpréter.
À cette époque, la largeur des obi variait entre 15 et 18 cm.
Devant la puissance grandissante et l'enrichissement de cette classe marchande, le gouvernement promulgua alors le premier des nombreux édits somptuaires en 1683 pour limiter cette demande de luxe; ainsi les broderies, les brocarts d'or, les ajouts de feuilles d'or et certaines teintures dont le procédé de ligatures teintes nouées shibori furent interdits dans la confection des vêtements. Des restrictions de plus en plus rigoureuses s'ensuivirent à intervalles rapprochés et il en résulta un grand changement dans la mode et dans les techniques d'ornementation. Ces restrictions furent parfois habilement détournées avec par exemple la technique de teinture suri-hitta qui imitait les ligatures à noeuds.
"[…] Vivre uniquement pour l'instant présent, porter toute sons attention aux beautés de la line, de la neige, des cerisiers en fleurs et des feuilles d'érable; chanter, boire du vin, tout simplement se laisser vivre avec plaisir, fermer les yeux sur la pauvreté environnate, bannir tout chagrin, se laisser porter comme une bouteille par le courant du fleuve: voilà ce que nous appelons le Monde Flottant […]."
Asai Ryoi, Ukiyo-monogatari (Roman du monde flottant)
L'estampe comme illustration de livres ou simple tract publicitaire distribué dans la rue fut un extraordinaire moyen de diffuser des images, des motifs décoratifs et des modes de l'époques et Yoshiwara devint une source d'inspiration inépuisable pour les auteurs de kabuki, les écrivains et les maîtres de l'estampe.
Le obi lui aussi s'est imposé peu à peu et se porte assez bas (vers 1661-73).
La mode des kanbun kosode se poursuivra jusqu'à la fin du 17e siècle pour faire place peu à peu à de nouveaux styles où les préférences des femmes de la classe bourgeoise et guerrière afficheront des différences plus marquées.
Fleurs de paulownia en arabesques disposées dans de longues feuilles qui courent sur toute la hauteur. Ici, le motif part de l'épaule gauche.
Des fleurs de chrysanthèmes flottent sur un cours d'eau.
Grandes feuilles d'érable ornées de fleurs de saison et d'un motif teint shibori.
Fleurs de chrysanthèmes en shibori et broderies.
Un motif qui a connu une grande popularité au cours de cette période: le biane, cet élément architectural décoratif, orné de caractères chinois et placé au-dessus d'une porte de temple par exemple.
Fleurs de mauve de taille audacieuse réalisées en shibori avec broderies.
Au début (1615-1644), leur activité consistait seulement à accueillir les client(e)s et à les aider aux bains, mais peu à peu, devenues très populaires et de plus en plus élégantes, les services des yuna (ou kami arai onna, celles qui lavent les cheveux) ne se limitèrent plus seulement au simple lavage. Au-dessus des bains, au premier étage, il y avait des salles de repos où les affaires se négociaient entre clients et laveuses et se concrétisaient ensuite dans une chaya (maison de thé) voisine. Plus tard, vers 1652, l'accès aux bains leur sera interdit et elles seront remplacées par des hommes (sansuke).
Il se dégage de cette scène une vitalité et une énergie transmises par les expressions et les attitudes (2e personnage à partir de la gauche) qui contrastent avec les portraits idéalisés des portraits féminins de l'ère kanbun.
Parmi les premières peintures de genre, certaines montrent des activités saisonnières comme promenades ou pique-niques sous les cerisiers ou évoquent le monde des plaisirs et des premiers théâtres, offrant ainsi un aperçu émouvant des modes et coutumes sociales dans le japon ancien. Ici, une danse avec éventail exécutée par un groupe des femmes au son d'un tambourin. Elles ont noué leurs luxueux kosode du dessus autour de la taille pour être plus à l'aise.
En 1683, une loi somptuaire concernant les vêtements interdit l'utilisation des broderies, des applications de feuilles d'or et de la teinture kanoko shibori.
De jeunes hommes vêtus de somptueux kosode, sabre à la main, dansent et imitent probablement une scène de kabuki, un nouveau genre très à la mode à l'époque.
Derrière un rideau noir, des servantes préparent les boîtes à pique-nique et disposent la vaisselle laquée sur les plateaux repas. Les longs kosode sont sobres et maintenus fermés à la taille par de gros cordons (il n'y a pas encore de obi à proprement parlé), les manches sont étroites.