Dans le domaine vestimentaire, l'originalité et les nouveautés qui ponctuaient les époques précédentes n'ont plus cours et la mode est aux vêtements de couleurs sobres voire austères avec le règne des tissus rayés ou ornés de petits motifs répétitifs komon dans des nuances marron, noires, grises ou bleu nuit.
La vie des quartiers de plaisir était régie par des règles qui ont donné une culture et une esthétique contraires à l'ordre moral confucéen rigoureux qui réglait la vie de la société japonaise. Les courtisanes éduquées et sensuelles étaient le reflet d'un certain idéal féminin à l'opposé de l'image de la femme morale de la période d'Edo. Le concept de iki (chic, distingué, raffiné) qui s'oppose au yabo (rustre, grossier, démodé, ringard) et au gehin (vulgarité) a vu le jour dans ces quartiers et s'est développé pour aboutir à une sensibilité propre à la bourgeoisie citadine: détestation de l'arrogance des guerriers, de la soumission aveugle aux règles, des sermons confucéens. Cette sensibilité urbaine de raffinement discret teintée de sentiments humains est née au 18e siècle et s'est affirmée en ce début du 19e siècle. Hommes et femmes iki se montraient plus naturels, sans maquillage ni accessoires superflus, dans des tenues raffinées aux tons délicats, très simples en apparence mais qui exigeaient des sommes considérables et des subterfuges ingénieux. Pour résumer, le style iki en dit le moins pour en signifier le plus.
Ci-dessus, le client, assis au centre et qui semble connaître les codes du lieu, est entouré d'une oiran et de ses jeunes suivantes. Des amuseurs, des geisha et des serveuses l'entourent pour le divertir. Son style distingué et ses vêtements très sobres et à la dernière mode ne trompent pas: kimono finement rayé qui semble être uni vu de loin, col noir ajusté à son sous-vêtement, obi à petit carreaux ishimatsu du dernier chic lancé par un acteur de kabuki… Ce qui est iki est beau mais pas voyant, discret mais averti, simple mais pas vulgaire ni banal. L'iki est un concept qui détermine les rapports sociaux et amoureux, la mode, la façon d'être et de penser. Il s'agit de saisir la cruauté du monde sans renoncer à l'élégance du geste ni à la beauté des choses impermanentes.
Des motifs de grande taille sont regroupés et disposés en asymétrie sur toute la surface (glycines, oeillets, feuilles d'érable et courbes ondulantes).
Au quotidien, les kosode en crêpe de soie colorée (chirimen) se paraient également de broderies et de motifs teints (shiro-age, kanoko surihitta) révélant ainsi leur goût immodéré pour les paysages souvent imaginaires faisant allusion a des oeuvres littéraires ou théâtrales (no). Cette tendance perdura jusqu'au milieu du 19e siècle.
Les obi en satin noirs (kuro-shusu), qui étaient déjà en vogue au tout début du 18e, siècle le restèrent avec des variantes (chuya-obi, kujira-obi) qui arboraient des motifs distincts sur l'envers et l'endroit avec par exemple, l'endroit noir uni et l'envers coloré à motifs. Un genre qui ne se démoda pas avant les années Taishô (1912-26).
Le taiko-musubi (noeud taiko) était né et c'est probablement la manière la plus communément utilsée pour nouer un obi encore de nos jours.
(Commande de la maison Mitsui).
Au début du 18e siècle, la production japonaise (wa-sarasa) était déjà relayée par des artisans teinturiers spécialisés mais c'est suite à la publication d'ouvrages en 1778 et 1785 que la vogue du sarasa prit de l'ampleur. Ces tissus furent d'abord utilisés pour la confection de sous-vêtements et de juban et connurent un grand succès auprès des adeptes de tsû (chic) et d'élégance iki, notamment les marchands aisés et les acteurs de kabuki.
Les premières productions à rayures japonaises datent des années 1615-24 dans la région d'Ise. Plus tard, d'autres lieux de production se développèrent, notamment à Bushû et Kawagoe (Saitama). Le coton subissait un traitement au kinuta, une méthode traditionnelle pour assouplir les fibres et rendre le tissu fluide, brillant et soyeux, ce qui en augmentait considérablement le prix.
Les tissus étaient conçus en général dans des modèles de rayures verticales qui correspondaient parfaitement au concept esthétique d'iki en vogue alors qui promouvait une sobre élégance dans la classe bourgeoise aisée, régulièrement visée par des lois somptuaires avec parfois l'interdiction de porter de la soie. Puisque les lois imposaient de s'habiller dans la simplicité, on assista à d'habiles subterfuges pour les détourner en portant des kosode sombres à peine ornés de fines rayures invisibles de loin, mais onéreux et d'une qualité incomparable. La simplicité devint raffinement avec des nuances neutres et des motifs minuscules (komon) répartis uniformément sur toute la surface. Le perfectionnement des techniques de tissages ajouté à un engouement pour ces modèles et ces couleurs synonymes d'élégance favorisèrent leur développement au sein d'une population moins aisée.
Page extraite d'un carnet d'échantillons de cotons rayés.
Kuki Shûzô ("Structure de l'iki"): "La couleur grise est iki…elle se situe sur le passage du blanc au noir…et représente la pâleur des couleurs. Rien n'exprime mieux la résignation que le gris. C'est la raison pour laquelle depuis l'époque d'Edo, les diverses nuances de gris ont été appréciées comme des couleurs iki.
La couleur brune est la seule couleur qui soit prisée comme étant iki. C'est une couleur voyante qui résulte de la réduction de la luminosité."
Les nuances et les noms des couleurs sont innombrables: gris foncé bleuté, gris de la laque, gris rougeâtre, gris bleuâtre, gris souris, brun à tonalité indigo grisâtre, jaune légèrement bleuté, brun ambré, brun marron du milan, brun à tonalité noire du bambou brûlé, marron prune,écorce de marron, vert grisâtre du rossignol…
Ici, retour d'une fête de saison (matsuri) à Asakusa en novembre, avec quelques patates douces (taro), la spécialité locale, toujours en vente de nos jours.
Segawa Kikunojô II (à gauche) porta pour la première fois sur scène une tenue dans des nuances kaki-ocre (rokocha) qui eurent un succès immense jusqu'à la fin du 19e siècle.
Un autre acteur Iwai Hanshiro V (1776-1847) lance un motif de feuilles de chanvre aux contours teints en pointillés (hanshiro-kanoko), comme on peut le voir (à droite) sur le sous-vêtement rouge qui dépasse élégamment du kimono.
Au milieu, une serveuse de maison de thé, reconnaissable à son plateau et à son tablier maekake orné ici de fleurs de paulownia blanches. Sur son kimono, un motif géométrique genji-kô en référence au "Dit du Genji", déjà apprécié et qui connut un regain de popularité suite à la parution d'un ouvrage en 1829.
La femme à droite sort d'un sentô (bains publics) et porte un yukata en coton orné de rayures et d'un motif de chauve-souris en vol qui forment le kanji kotobuki (félicité). Ce jeu de formes revient à l'acteur de kabuki Ichikawa Dajurô VII qui associa les deux éléments.
Les fêtes du 7 juillet (à gauche) et du 5 mai (à droite) sont représentées par de jeunes femmes en kosode ornés de motifs très à la mode (rayures et carreaux kaku-dôshi et glycines).
Courtisanes et oiran de Yoshiwara en grande tenue où tout semble excessif (vers 1823, 1830, 1815).
East meets west avec ces deux geisha d'Edo (à gauche) et de Kyôto (à droite) qui rivalisent de beauté (vers 1850).
Activité maximale dans un commerce de tissu Echigoya qui deviendra le célèbre grand magasin (depâto) Mitsukoshi, (Kuwagata Keisai), ère Bunka
À droite, une citadine à la dernière mode porte son obi noué à l'avant sur un kosode marron en soie orné de motifs teints sur le bas.
Le peintre Gion Seitoku (1755-?) était réputé pour ses portraits féminins de toutes conditions.
Le portrait de gauche réalisée par Keisai Eisen, vers 1822, montre une femme mariée de la haute noblesse aux sourcils rasés avec la lèvre inférieure peinte en vert (sasa-iro, qui évoque la couleur des feuilles de bambou). La coiffure très sobre ne comporte qu'un seul ornement (kôgai).
La poudre utilisée pour se noircir les dents étaient composée d'un mélange de noix de galle réduites en poudre, auxquelles on rajoutait de l'eau de lavage du riz, du vinaigre, du sake et une poudre de fer. Une fois le mélange oxydé, il devenait insoluble et pouvait être appliqué, chaque jour ou tous les 2-3 jours. Considérée comme obsolète au début de la période de Meiji, cette pratique fut interdite en 1870.
De gauche à droite: enfant et groupe de citadins âgés, famille de samurai et servante qui se rendent au sanctuaire, vendeur de rue, porteur et courtisane, paysan et vendeur de sake
Collages "Événements annuels à Edo" (59 vues), Hashimoto Osakuni (vers 1840)
Collages "Événements annuels à Edo" (59 vues), Hashimoto Osakuni (vers 1840)
Collages "Événements annuels à Edo" (59 vues), Hashimoto Osakuni (vers 1840)
Collages "Événements annuels à Edo" (59 vues), Hashimoto Osakuni (vers 1840)
Collages "Événements annuels à Edo" (59 vues), Hashimoto Osakuni (vers 1840)
Collages "Événements annuels à Edo" (59 vues), Hashimoto Osakuni (vers 1840)
Élagueurs et scieurs
Forgeron
Busshi, sculpteurs de statues bouddhiques
Prostituées de la plus basse condition (yotaka, sans autorisation officielle) avec des clients et marchand ambulant de nouilles (soba)
Fabricants de paniers, vendeur de shamisen et de koto, musicien aveugle, moine et porteur
Brodeurs
Barbier, aiguiseur de scie, vendeuses de livres et de peintures murales (kakejiku)
Teinturiers et apprentis (aizome, indigo) qui utilisent des pochoirs sur les lais de tissu. Les teinturiers d'indigo (aoya), les fabricants d'objets en bambou et d'ustensiles pour le thé faisaient partie du groupe des eta (exclus de la société ordinaire).
Traversée d'une rivière à dos de porteurs ou en palanquin (vers 1810).
Le prix demandé variait en fonction de la profondeur de l'eau.
Voyageurs, marchands et porteurs devant une auberge (Hiroshige, vers 1830).
Femmes employées d'auberges à l'affût de clients. Ces auberges relais qui jalonnaient les grandes routes (kaidô) du Japon, employaient des femmes pour servir les repas. Avec l'augmentation du traffic, du nombre des voyageurs et des auberges, la concurrence était rude. Peu à peu, elles se livrèrent également à la prostitution afin d'attirer plus de clients.
Promenade sous les pruniers en kimonos rayés très à la mode dans les années 1840-50. Les coiffures et les ornements sont sobres, les cols de juban et de sous-kimono shitagi dépassent et se montrent.
Au Japon, ces régulations (kenyakurei) étaient transmises par divers intermédiaires au groupe social concerné. Les chônin se plaignaient souvent de ces mesures répressives, mais le gouvernement comptait plus sur la crainte qu’elles inspiraient que sur de sévères châtiments. Sous les Tokugawa, il n’y eut que quelques cas recensés dans les documents de l’époque ou la littérature populaire, d’arrestations pour violation de ces lois. Les lois somptuaires se référaient souvent à des édits antérieurs, suggérant qu’elles n’étaient pas permanentes ou concrètement applicables et que leur observation par les groupes concernés posait souvent des problèmes. Une expression de l’époque, « mikka hatto » (lois de trois jours), suggérait que la violation des lois intervenait souvent après seulement une brève période d’observation stricte.
Les lois somptuaires eurent un impact dans plusieurs domaines de la vie politique et sociale: l’expression des idées, la consommation et les apparences.
Durant la période d'Edo, il y eut plusieurs périodes de restriction à propos du contenu des idées, avec des édits qui interdisaient les publications en rapport avec des sujets de l’époque, des théories non conformes, des rumeurs, des scandales, l’érotisme, les fonctionnaires du gouvernement et tout ce qui se rapportait aux Tokugawa et à la famille impériale.
Une des séries de mesures les plus répressives fut mise en place durant l’ère Kansei (1789-1801) à la mort du shôgun Ieharu, son successeur Ienari est encore mineur (jusqu’en 1793) et le vrai pouvoir est aux mains de Matsudaira Sadanobu (1758-1829), un petit-fils de Yoshimune et daimyô de Shirakawa.
Les réformes se concentrent au début sur l’exclusion du pouvoir des officiels corrompus et sur des mesures prises afin de juguler l’inflation et de stabiliser les prix (en été 1787, la hausse du prix du riz mène à des révoltes dans plusieurs villes, après des années de mauvaise récolte et de famine). Les réformes s’étendent plus tard au domaine de l’édition (1790) et le 5e mois de cette année, aucun ouvrage ne fut publié, sauf avec autorisation spéciale. Les événements de l’époque ne devaient pas figurer sur les gravures et les œuvres extravagantes ou somptueuses furent interdites (au même titre que les théories non autorisées ou les images érotiques).
D’autres édits tentèrent de réguler ou d’interdire les manifestations extérieures de richesse et les dépenses en fonction de chaque classe sociale. Alors que les marchands commencèrent à amasser de véritables fortunes et à vivre selon les us réservés à la classe des samurai, le bakufu dicta les lois somptuaires pour que chaque statut social soit respecté, encourageant la sobriété et le maintien des règles morales du néo-confucianisme. Le gouvernement veillait particulièrement à ce que la morale et la discipline des samurai ne soient pas corrompues par le style de vie fastueux des riches marchands.
Le bakufu reconnaissait que la mode permettait de traverser les frontières invisibles des classes sociales qui se distinguaient souvent dans le choix de l’habillement et des accessoires. La nature potentiellement séditieuse du vêtement et de la mode pendant la période d'Edo fut l’objet de nombreux édits répressifs qui touchaient aussi au mode de vie et aux comportements. Ces lois furent très fréquentes dès le début du 17e siècle. En 1617 déjà, les feuilles d’or et d’argent appliquées sur les vêtements des courtisanes (puis les fils d’or) furent interdits; en 1649, une liste des restrictions destinées aux chônin apparut, incluant l’interdiction de la laque dorée décorative, de maisons ornées de feuilles d’or ou d’argent et de selles laquée d’or. De la même façon, des fermoirs d’or ou d’argent sur les blagues à tabac étaient interdites car trop ostentatoires.
En 1681, un riche marchand d’Edo, Ishikawa Rokubei, devint célèbre pour avoir violé ces lois. La famille de Rokubei et les servantes se parèrent de magnifiques vêtements pour aller voir le shôgun Tsunayoshi en visite à Ueno ; pensant qu’elle était l’épouse d’un daimyô, le shôgun se renseigna et en apprenant qu’elle n’était qu’une femme de marchand, devint furieux devant cette marque d’irrespect devant un supérieur. Il fit saisir toute la fortune de Rokubei et fit exiler la famille. Peu après, en 1683, Tsunayoshi (célèbre pour sa vie de débauche) et les officiels dictèrent un nombre considérable de lois concernant l’habillement des chônin. Ainsi, ne suffisait-il pas seulement de limiter ses dépenses mais aussi de vivre selon les règles adaptées à la classe à laquelle on appartenait.
Même si les manquements à ces lois étaient rarement punis sévèrement, elles eurent des effets néfastes sur la création artistique et l’expression personnelle.
À partir de 1790, les estampes furent contrôlées par des censeurs, tenus personnellement responsables de toutes violations aux lois. Ce système resta en vigueur pendant plus de 80 ans. Les exemples d’interdictions affectant l’ukiyo-e sont nombreux ; au cours du premier mois de 1800, les bustes de femmes sont interdits.
En réalité, le bakufu ne pouvait certainement pas admettre qu’un produit artistique soit trop populaire au sein des chônin. Un autre exemple fut l’interdiction en 1793 de gravures portant le nom de femmes en dehors des courtisanes car leur réputation était à préserver. Tout en étant en relation avec le monde flottant, elles ne se prostituaient pas comme les courtisanes ou serveuses de maisons de thé.
Le pire restait à venir. Avec les réformes de Tempô (1842-47), les artistes furent durement touchés. À Edo en janvier 1842 et à Osaka en juillet 1842, les estampes d’acteurs ou en rapport avec le théâtre kabuki furent proscrites, interrompant presque toute la production à Osaka jusqu’en mai 1847. À Edo, le choc fut ressenti moins durement car la production ne reposait pas essentiellement sur la gravure d’acteurs comme à Osaka où tous les éditeurs étaient concernés. L’acteur Ichikawa Danjûrô VII (1791-1859) fut banni d’Edo en 1842 pour son style de vie extravagant et ses productions théâtrales ostentatoires. Ce que le bakufu ne put accepter, fut l’utilisation par Danjûrô de véritables armes et armures de guerriers sur scène, une infraction à la séparation des classes sociales. Ces armes qui furent certainement prêtées ou offertes par de riches samurai, admirateurs de l’acteur, valurent à Danjûrô d’être exilé pendant 10 ans. Il n’en souffrit guère puisqu’il continua à mener son train de vie et à jouer avec succès à Osaka.
(Source inconnue)
L'effondrement du régime des Tokugawa avec l'arrivée des cannonières occidentales marque la fin de la période d'Edo et le passage du Japon de l'époque pré-moderne à l'époque moderne avec la formation d'un État-nation.
Le style en vogue des kimonos de cette fin de 19e siècle (petits motifs, couleurs sobres et discrètes) se poursuivra encore pendant quelques années.